même les yeux plissés est une création témoignage sur les abus sexuels et l’inceste sous forme d’installation. La question « comment habiter un corps qui a été dérobé » est à l’origine de ce travail.
Ce projet d’installation propose au public d’entrer dans l’univers de la victime et d’éprouver le caractère envahissant, handicapant et omniprésent de la mémoire traumatique. La notion de corporéité et l’importance des sensations sont ici centrales.
Cette expérience immersive s’organise autour de textes poétiques souvent issues d’écriture automatique et questionne par le corps les espaces intérieurs entre conscience et inconscience et extérieurs dans le rapport au monde, à l’espace, au temps où tous les âges s’empilent au lieu de se succéder.
L’enfance et la danse cohabitent ici, toutes deux ambivalentes à la fois merveilleuses et terrifiantes. Des chimères dansantes (encre sur papier Xuan) ponctuent le parcours.
La déambulation dans l’espace retrace le parcours du temps symbolisé par la dégradation progressive d’éléments au fil de la marche en opposition avec le temps de la victime qui s’est arrêté.
un et six baisers
elle s’évanouit dès le premier
et la ritournelle se répète
à chaque rencontre des lèvres entrouvertes
serpent siffle nausée monte portes se ferment
sur le secret de la belle
le cœur moite tapant entre ses dents
un et six baisers
au contact humide et foudroyant
il déclenche l’effondrement
corps à terre esprit vide
étoiles noires hagarde à la diane
16 ans
endeuillée à l’éveil sexué du désir mort-né
un et six baisers
les jambes en l’air
pour pas se retrouver encore la tête à l’envers
la pompe du sang en suspens
un et six baisers
poupée en chair au visage blême
erre dans les couloirs noirs de son histoire
s’envasant à perpétuité jusqu’aux ruines de son identité
dévoyée
la chape du ciel est tombée
noir dehors noir dedans
la ville s’abîme aveugle
ombre du ciel
ombre du cœur
clarté de l’aube en deuil
tenir debout quand le cœur s’éteint
avancer pas à pas dans la mémoire du matin
tu meurs je meurs
esprits incertains
et l’eau se déverse
et l’eau nous bouleverse
drainant les idées noires
lavant la paresse des cœurs sans espoir
les équilibres chavirent
tirant derrière tirant dessous
tirant partout
arrimée à l’ancre de mes pas
je pousse mes ténèbres devant moi
j’avance dans la rue Noire
et sous ma cape d’ombre
je danse
poids du corps
poids du jour
poids des rêves
poids du cœur
verticalité
réduire l’espace en soi
au point de gravité
pour alléger
absorber effacer
le poids
la chute
le sol dérobé
le ciel effondré
verticalité
pour
exister
le jour se fait le miroir de ses nuits
effondrement
sous la pression du souvenir dans sa chair
pauvre chimère susurre dans un coin de ciel
emportée par le reflux de la mémoire cellulaire
elle chancelle marquée au fer
corps sablier ne connaît pas le temps
inconscient
cette nuit-là
dans la chambre du fond au bout du couloir du premier étage
entre la chambre parentale et la grande salle de bain
qui donne sur le grand sapin
cette-nuit-là
endormie loin du réel au-delà même du rêve
dans les abysses profondes du sommeil enfantin
cette nuit-là
enfouie sous les couvertures de laine
bordée serrée
pour échapper à l’humidité du nord
dans cette chambre où le soleil ne rentre pas
cette nuit-là
blottie en chien de fusil
dans l’empreinte utérine toujours vivace
et le pouce encore à la bouche
cette nuit-là
elle se réveille en larmes
suffocante et embrouillée
en larmes elle appelle sa mère et son père vient
elle l’entend lui dire
tu es tombée sur la tête tu t’es évanouie
je t’ai remise dans ton lit
dans mon lit évanouie
sans veiller à mon bien-être
sur la tête
du haut de mon lit
engoncée dans mes draps
chaperonnée par le séculaire meuble en bois
à mon chevet
à moins d’un mètre du parquet
j’ai vomi
toute la nuit
dans la grande salle de bain
entre les mains de ma mère
naïve loin de la rive
tout juste arrimée à mes cheveux emmêlés
soutenant doucement mon visage enlarmée
au bord du gouffre
stupéfiée
dans ce petit corps souillé
étrange et révulsé
jusqu’à l’aube laiteuse lunaire liminaire
cette nuit-là
elle s’est évanouie
à elle-même
elle est tombée
pas de son lit
dans l’hébétude et l’amnésie
égarée dans ce labyrinthe insensé
chambres synaptiques verrouillées
petite chose fragile presque débile
saturée, désorientée
glacée dans l’absence
scellée du sceau de l’interdit
impuissante à prendre son envol
une vie volée
elle s’étoile à la lueur des ténèbres
un essaim lunaire fréquence de la terre un corps intercalaire une particule de l’univers
un hamster dans la roue du temps
puits
ma main sur la dernière pierre
me hisse vers la lumière
reviens à
où
se déchausser
passer la barrière en papier
entrer avec une torche
s’accoutumer à la pénombre
marcher sur un sol mou
supporter le bruit de ses pas
découvrir des inscriptions sur les murs, les surfaces
sillonner entre les panneaux de papier
faire face aux corps mouvants
s’arrêter pour écouter les voix
marcher pour couvrir les voix
reconnaître un os
croiser un ours en peluche
découvrir d’autres inscriptions
s’arrêter devant l’autel
prendre un papier-mémoire
faire apparaître quelque chose à la chaleur des ampoules
écouter, voir, toucher, sentir et ressentir
quitter l’espace
en conserver l’empreinte
emporter le papier-mémoire au dehors
sous l’empire hypnotique de ma stupeur brûle chaque particule de la fureur court le long de mes nerfs en pleurs je suis l’origine le sens le devenir je suis là de toutes parts entière pleine du souvenir là en ce lieu en cet instant hier et à venir l’espace-temps s’enroule sur moi-même
point de désillusion disparition
danser renverse le corps
élan piégé englué
corps lourd de larmes trébuche sur l’âme alarmée
danser consume le corps
son sang circule à contre-sens
ce corps incendié dans sa chute court-circuité
danser réveille les morts
le corps hébété les morts affamés
donne-moi ton corps encore
fais-moi un shoot laisse-moi ton sang et va-t’en
danser porte le poids des corps morts
douleur de vie désir de mort
danser encore jusqu’à tuer ma propre mort
sacrum sacré le cul bloqué
verrou d’une porte forcée
manque douleur du manque vide douleur du vide mécanique froide peuplée de monstres
chut !
chute sans pesanteur poids du corps insoutenable déroulé du temps espace vertical tout petit univers immense trou noir
sans dessus dessous lignes de fuite fuite d’horizon
dilatation
déroulé du temps trépas de glace vide vertical dos à dos en suspens trop lourdes paupières rideaux de fer de rues en hiver
fuite immobile suppliant l’oubli
sans dessus dessous lignes de fuite fuite d’horizon
condensation
froide étreinte baiser de mort amor à mort court sur le corps
retourner en exil ne plus voir ne plus savoir ne plus mon vagin mon ventre déchiré de savoir de trop voir ne plus sentir le jour me broyer les ovaires mettre à feu à sang mon antre dehors dedans dans tous les ventres d’innombrables naissances avortées trop dur trop blanc même les yeux plissés même la tête baissée un noir blanchi à sang brûlant suffocant ne plus sentir la mort âcre poisseuse l’haleine de toutes les morts rampantes infiltrées des temps passés futurs vivants maintenant des mains encore de toutes ces mains entachées de sang du sang de l’autre d’une autre pas autre que moi la mort de moi en tout autre tuer ravir nier
partition de femme inflexion de chair
gestation de l’âme
poussière
colère de brume
colère de songe
colère de larmes
colère d’élan bafoué
colère de terres volées
colère de nuits oubliés
colère de navire amarré
colère d’animal blessé
colère de souffle écartelé
colère de peur sanglante
colère de rivière rouge
colère d’automne
colère d’Antigone
colère d’amour tenace
colère de guerre lasse
colère d’enfance vaporeuse
colère de faiblesse douteuse
colère de lune intercalaire
colère de prison de verre
colère de rêve sans matière
colère de doucereuse évidence
colère de latences
colère de non-sens
colère de non-dits
colère de mère contre mère
colère de fille contre père
colère de soi en soi
colère de mémoires enfouies
colère d’invisible inaudible
colère d’horizon inaccessible
colère d’amertume
colère d’arlésienne
colère de cœur naïf
colère de corps malade
colère de l’aube
colère de honte
colère d’instinct qui gronde
colère de ciel qui s’effondre
colère de précipice où rien ne tombe
colère de douceur absente
colère de survivante
colère de vie
elle trépigne
à l’idée de toucher
enfin
le fond
ménage monstre ménage-monstre monstre en furie monstrueuse
furie de lave de larmes en nage furie vacillante sur le fil en abîme
furie de désespoir désespérée
désespérante monstresse en larme
un quart à droite immobile
une vie entière
pour un demi-tour
liberté dérobée dans les draps candides d’une nuit désastrée
liberté arrachée sur le pavé
en révolte permanente elle s’agite
gesticule
la vie lui colle à la peau gluante étriquée surannée
p.
pactiser pactole paillette pal palper pandémie pandore panique parjure parpaing parti partout pass passe-droit paternaliste patriarche payer pédophile pègre pénétrer pénis pénombre perfide perforer périr pervers pesticide pétrole peur pèze piédestal piège pillage pipeau piper piranha planque plastique porc poison politique pollution possession pot-de-vin pouvoir précipice prédateur président pression prétendu priver privilège profaner profit promesse propagande provisoire putride
pyramide
pacifier pacte paille pain paix pamplemousse panacée pangolin panorama panser papa pardon parité parlement parole partager pas-à-pas pays peluche pénal penser père pérenne périnée perspective peuple peuplier phare phénix philosophie photosynthèse pilier pirate placenta planète plante plasma plénitude pluie plural poésie poisson pollen poney posture potager potentiel pouls pousse présence préserver printemps priorité privé protéger publique pulsation purifier
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